View the Project on GitHub Marcussacapuces91/Le-guide-du-brasseur
La bière est une boisson que l’on obtient en traitant par l’eau des grains modifiés par une germination modérée et en faisant fermenter le liquide ainsi obtenu : elle est donc plus ou moins alcoolique.
C’est à juste titre que la bière est fort appréciée; en effet, elle réunit des propriétés bien déterminées qui ne se trouvent associées dans aucune autre boisson. Elle contient les parties constituantes des grains, ou bien des substances qui proviennent de la décomposition des premières (sucre, dextrine, matières albumineuses), et, par ce motif, elle est nutritive. Par suite de la présence de l’alcool, elle est excitante. En outre, nous rencontrons dans cette boisson l’acide carbonique si rafraîchissant, qui communique à notre eau potable ordinaire une saveur fraîche et auquel beaucoup d’eaux minérales doivent leur haute valeur. De plus, la bière tient en dissolution les matières amères du houblon qui sont si bonnes pour l’estomac, et enfin, pour ne plus insister que sur un seul point, nous y trouvons aussi une certaine quantité de phosphates et d’autres sels solubles, dont l’introduction abondante dans l’organisme est d’autant plus nécessaire qu’ils sont expulsés journellement de notre corps en quantité considérable.
On peut donc, incontestablement, dire que l’on trouve réunies dans la bière toutes les parties constituantes que l’on rencontre séparées les unes des autres dans la plupart des eaux minérales gazeuses, dans le vin et même dans le pain.
La bière peut être préparée avec d’autres semences que les grains (semences des graminées), et même avec beaucoup de substances autres que des semences : mais à mesure que l’on emploie pour sa préparation d’autres substances conjointement avec le grain ou en remplacement du grain, elle perd de plus en plus le caractère de la bière.
On peut s’attendre en premier lieu à trouver dans la bière, une boisson alcoolique produite par fermentation et préparée par suite au moyen d’un liquide sucré (le sucre provenant de la transformation de l’amidon) ; mais la bière contient en outre essentiellement des parties constituantes solides qui proviennent des semences des plantes, et surtout des grains, et qui se sont dissoutes pendant les opérations qui ont été exécutées dans le but de préparer la bière.
On s’attend en outre à trouver dans la bière une boisson qui soit à la fois nourrissante et rafraîchissante, et il est positif qu’elle possède la première propriété au plus haut degré.
Parmi les parties constituantes nutritives de la bière, nous rangeons sans hésiter les substances inorganiques comme le phosphate de chaux, le phosphate de magnésie et le phosphate de potasse, ainsi que d’autres combinaisons salines qui, dans la préparation de la bière, se dissolvent : c’est par suite de la présence d’une certaine quantité d’acide organique libre dans la dissolution que les phosphates se dissolvent. Celui qui doute de l’utilité de ces combinaisons salines, méconnaît la valeur de la plupart des eaux minérales : bien plus, il méconnaît l’importance des phosphates pour l’organisme.
Parmi les parties constituantes nutritives, viennent se ranger en outre les matières albumineuses solubles dont il existe une certaine quantité dans la bière, bien qu’une grande partie des matières albumineuses du grain se soient séparées pendant le brassage, la cuisson et la fermentation.
Nous devons encore citer ici la dextrine et le sucre, substances qui ne font non plus jamais défaut dans la bière. C’est à la première que la bière doit sa propriété de former un liquide épais, et à la seconde qu’elle doit sa saveur douce.
Enfin, on trouve aussi dans la bière une certaine quantité d’alcool qui a été produite par la fermentation, et il existe en outre dans toutes les bières, tant celles qui moussent que celles qui ne moussent pas, une quantité plus ou moins grande d’acide carbonique. Ces deux dernières substances sont les causes de la saveur fraîche et de la propriété excitante de la bière.
On peut très facilement préparer de la bière au moyen du froment, de l’orge ou des autres espèces de grains en les épuisant par l’eau et en faisant bouillir le tout ; mais les bières ainsi préparées ne se conservent pas toutes également bien.
Il existe une boisson russe, connue sous le nom de Kivas, que l’on prépare au moyen de 1 partie de malt de seigle récemment préparé, et de 9 parties de farine de seigle, en mélangeant le tout avec de l’eau de manière à former une masse pâteuse et en laissant ensuite reposer pendant plusieurs jours dans un endroit chaud : la masse prend ainsi une saveur douce. On la traite alors par l’eau froide et on ajoute du ferment à la liqueur claire, sans faire bouillir. Cette liqueur, après avoir fermenté, est bonne à être employée comme boisson1.
La connaissance du kivas a pour nous de l’importance en ce qu’elle nous montre que, même à la température ordinaire, les matières albumineuses du malt de seigle sont susceptibles de transformer en sucre l’amidon de la farine de seigle et qu’il n’y a pas besoin pour cela d’une température de 60°C à 75°C. La consistance pâteuse de la masse, qui empêche l’accès de l’air, est indubitablement la cause qui s’oppose à ce qu’elle devienne acide. — En outre, nous avons ici la preuve qu’un liquide prenant naissance quand on traite par l’eau un mélange de malt et de grain, peut être potable sans avoir été soumis à l’ébullition et peut se conserver sans qu’on y ait ajouté du houblon. Sans contredit, cette boisson ne pourrait pas se conserver très longtemps : mais, pour apprécier la valeur des méthodes que l’on suit généralement pour la préparation de la bière, il est incontestable que la préparation du kivas a de l’importance. En effet, à côté du kivas, viennent se ranger quelques bières douces que l’on prépare dans différentes parties de la Belgique et qui doivent être consommées promptement : en effet, elles ne peuvent pas se conserver plus de huit jours. On les prépare avec de l’orge, de l’avoine, du seigle, du froment et du sarrasin que l’on traite par de l’eau chaude, sans addition de malt, et qu’on laisse fermenter sans ajouter de ferment. Dans là préparation de ces bières, on n’emploie pas non plus de houblon.
Les bières belges sont importantes à considérer au point de vue de l’ensemble de la théorie de. la fabrication de la bière et au point de vue de la connaissance des réactions chimiques qui se produisent dans cette fabrication. Pour préparer ces bières, on n’emploie pas de malt, de grain germé : cependant, ainsi que nous le verrons plus tard, le malt est une partie constituante essentielle qui joue un rôle tout spécial dans la production de la substance appelée Diastase : une circonstance importante à remarquer, c’est que, dans la préparation de ces bières, on n’emploie non plus, ni ferment, ni houblon.
Il n’est pas question d’examiner si ces bières possèdent des propriétés tout autres : mais il est important de faire remarquer que la préparation de ces bières ne nécessite aucune autre opération que de traiter la farine par de l’eau chaude et de maintenir la liqueur à une température relativement peu élevée.
Comme il n’existe pas de sucre tout formé dans le grain et comme les substances albumineuses n’y sont pas à l’état le plus convenable pour pouvoir produire rapidement la fermentation, ce sont là deux raisons plausibles du traitement préliminaire que les grains doivent subir avant de servir à la fabrication de la bière proprement dite. — On peut bien, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, en traitant de la farine de grain par l’eau, obtenir directement de la dextrine et du sucre ; mais la réaction qui se produit ainsi, est incomplète et n’a lieu que lentement : les moyens artificiels peuvent ici venir en aide, et, dans la méthode que l’on suit presque généralement, on ne se fait pas faute de les employer.
Le grain doit donc, avant de servir à la préparation de la bière, subir un certain degré de modification. On appelle maltage l’opération par suite de laquelle le grain est ainsi modifié, et malt le grain qui a été soumis à cette opération.
Pour transformer le grain en malt, on l’humecte et on le porte dans un endroit d’une température aussi uniforme que possible. Il germe rapidement, et, lorsque la germination est arrivée à un certain degré, on le dessèche, soit au moyen d’un courant d’air, soit artificiellement, en le soumettant à l’action de la chaleur. Par la germination, l’amidon est transformé partiellement en dextrine et en sucre, et les matières albumineuses du grain sont modifiées de telle sorte qu’il se forme d’abord un premier, puis un second agent, qui déterminent des actions chimiques de manière à amener enfin la production de la bière avec toutes les propriétés caractéristiques que nous lui connaissons. Ces deux agents sont, ainsi qu’on le sait très bien, la diastase et la levûre ; la diastase se produit pendant l’acte de la germination aux dépens des substances albumineuses du grain. Du reste, cette transformation ne s’opère jamais d’une manière complète, mais une fois qu’elle a commencé à se produire, elle s’étend peu à peu jusqu’à un certain degré et donne ainsi naissance à la première phase des phénomènes qui doivent déterminer la production de la bière. Le second agent de la fermentation, la levure, se produit plus tard.
On moud le malt et on le fait digérer pendant quelque temps avec de l’eau chaude, ce qui accélère la production de la dextrine et du sucre. On fait bouillir cette infusion de malt avec du houblon. On fait refroidir la liqueur et on la soumet à la fermentation.
La liqueur fermentée est la bière.
La variété presque illimitée des bières que l’on prépare actuellement peut trouver sa raison d’être dans chacune des opérations que l’on doit faire subir au grain pour pouvoir obtenir cette boisson fermentée. Les propriétés naturelles du grain ne sont pas la seule cause de cette différence. Avec une seule et même espèce d’orge que l’on emploie la plupart du temps exclusivement à la préparation de la bière, on obtient une grande différence dans la qualité du produit. Il n’existe souvent, dans les circonstances extérieures, que de petites différences dont on peut à peine tenir compte ; et ce serait certainement s’éloigner de la vérité que d’attribuer à de petites influences accessoires toutes ces différences que peut présenter une bière par rapport à une autre. La quantité de grains employée, la nature et la quantité de l’eau dont on s’est servi, le mode de germination du grain, de dessiccation ou de torréfaction du malt, d’épuisement du malt, d’ébullition de la liqueur, etc., la manière dont le houblon y a été introduit et la quantité que l’on en a ajoutée, en outre le mode de refroidissement, la fermentation, en un mot toutes les opérations que nécessite la préparation de la bière, peuvent être les causes déterminantes qui donnent à une bière le caractère spécial que l’on désire lui donner. — Dans des localités où l’on opère d’après des règles fixes, on obtient une bière qui, non seulement, répond au goût des consommateurs, mais que l’on peut souvent reproduire dans d’autres endroits, lorsqu’un chef intelligent est à la tête de l’établissement.
Nous ne voulons cependant pas prétendre ici que l’influence des causes locales doit être considérée comme entièrement nulle. Au contraire, ces influences locales existent : mais leur action doive être éclaircie autant que possible. Si, par exemple, l’endroit où s’opère le maltage a subi des modifications, si sa température était maintenue constante par de grandes constructions situées à proximité et si, par la démolition de ces constructions, il est devenu sujet à de grands changements de température, on attribue à juste titre à cette cause une influence sur la localité et sur la préparation de la bière. — De même, une brasserie, dans laquelle les locaux destinés à la fermentation ou à la conservation de la bière ont subi une modification quelconque, peut donner une bière de moins bonne qualité ou de meilleure qualité. Si, par la modification apportée, les locaux sont devenus d’une température moins constante, la bière devient moins bonne. Si la bière a gagné en qualité, cela vient de ce que, par le changement qu’ils ont subi, les locaux ont pu devenir d’une température plus uniforme.
Il n’y a ici aucune raison d’admettre des esprits, bien que l’on ne soit pas encore en état de remonter à la cause de tous les phénomènes exceptionnels que l’on rencontre dans la fabrication des bières dites locales.
Berzelius, Lehrbuch, 1839, t. VIII, p. 110. ↩