View the Project on GitHub Marcussacapuces91/Le-guide-du-brasseur
La matière que l’on désigne en industrie sous le nom de houblon, est la fleur femelle de l’humulus lupulus dont les botanistes désignent l’inflorescence sous le nom d’inflorescence en chatons. Cette substance est généralement considérée comme indispensable à la préparation de la bière : aussi son emploi dans ce cas est-il général. Il n’est cependant pas douteux que d’autres plantes, en admettant qu’elles présentassent un goût satisfaisant, pourraient communiquer à la bière, comme le fait le houblon, la faculté de se préserver contre la détérioration : et c’est surtout à cause de cette propriété que le houblon est employé dans la préparation de la bière.
Aux folioles ou écailles de la fleur de houblon adhère une certaine quantité d’une poussière jaune dont il sera question plus loin. Ives croyait que c’était dans cette poussière jaune que se trouvait la matière active du houblon. Mais Payen et Chevallier ont montré que la fleur entière renfermait presque les mêmes parties constituantes que la poussière jaune qui la recouvre. S’il n’en était pas ainsi, le houblon, qui perd dans le transport une si grande quantité de cette poussière jaune, ne serait que d’une bien faible valeur pour la fabrication de la bière.
Sans le houblon, la bière ne pourrait pas devenir claire : en effet, il y resterait en dissolution une trop grande quantité de substance albumineuse et la bière se décomposerait rapidement. Les parties constituantes des écailles de la fleur de houblon contribuent, aussi bien que celles de la poudre jaune, à communiquer à la bière les propriétés indiquées. La poussière jaune est composée de petites glandes qui étaient adhérentes aux écailles de la fleur et qui se sont détachées par la dessiccation. Elles ont une odeur balsamique et une saveur amère, et, bien que l’on ne puisse aucunement les considérer comme fournissant des substances, qui, par leur importance, soient tout à fait indispensables à la préparation d’une bonne bière, elles fournissent cependant des matériaux qui sont d’une grande valeur pour la préparation de cette boisson.
Turpin a reconnu dans ces glandes la présence de deux vésicules dans lesquelles il existe une huile éthérée, et Raspail 1, par un examen plus approfondi, y a trouvé de la chlorophylle, une matière résineuse, une huile éthérée et du gluten.
Payen et Chevallier ont analysé du houblon de différentes provenances, et ils ont trouvé comme minimum 8% et comme maximum 18% de poussière de houblon. C’est un fait bien connu que le houblon de tous les pays n’est pas également bon : la quantité différente de poudre jaune qu’il contient peut en être, entre autres, une des causes ; mais comme, dans les manipulations que l’on fait subir au houblon, la poussière jaune peut facilement s’en séparer, on aurait tort de conclure des expériences de Payen et de Chevallier, que, dans le houblon, tel qu’il se trouve dans les champs, il existe une pareille différence dans la quantité de poudre : dans le transport, il peut déjà s’en être perdu d’une manière ou d’une autre une petite quantité2.
Wimmer a trouvé, dans 100 parties de houblon, 20 parties de poussière de houblon et 80 parties d’écailles. Mais il lui avait été impossible de séparer des fleurs la totalité des particules ténues de poussière jaune et son opinion est qu’elles devraient encore s’élever à moitié. Il a trouvé, en outre, dans 100 parties de houblon :
D’après Wimmer, il est indispensable de diviser le houblon avant de l’employer à la préparation de la bière, parce que le houblon non divisé fournit de l’huile volatile pendant toute la durée de la distillation, tandis que le houblon divisé n’en donne que dans le commencement de la distillation. Ce résultat, qui paraît étrange, est cependant facile à expliquer. En effet, lorsqu’on opère sur du houblon divisé, une plus grande quantité de résine est extraite, et c’est précisément cette résine qui retient l’huile volatile avec laquelle elle est combinée. C’est afin de tenir compte des résultats que fournissent les expériences de Wimmer, que l’on a mis en usage les appareils pour diviser le houblon. La résine et l’huile ont l’une pour l’autre une affinité tellement énergique que l’on ne peut pas, dans la poussière de houblon, séparer la résine de l’huile éthérée, même au moyen d’un traitement de plusieurs jours par l’eau bouillante. Il n’est donc pas possible d’obtenir toute l’huile éthérée contenue dans la poussière de houblon en distillant cette dernière avec de l’eau.
L’huile éthérée de houblon détermine la dissolution de la résine dans l’eau : toutes les huiles éthérées sont, en effet, plus ou moins solubles dans l’eau (eau de canelle, eau de fenouil, etc.). Bien que cette solubilité soit très faible, elle est l’intermédiaire qui détermine la dissolution de la résine, mais toujours dans une grande quantité de liqueur.
Aussi longtemps, par suite, qu’il se trouve de l’huile éthérée de houblon dans le brassin, il existe une cause qui détermine la dissolution de la résine, et comme il se produit de l’alcool par la fermentation, il y a encore plus de raison pour que la résine se maintienne en dissolution.
Lupuline. — Ce nom a été donné par Ives à la poussière jaune qui recouvre les folioles de la fleur femelle du houblon. Plus tard, Ives, Payen, Chevallier et Pelletan ont donné le même nom à la matière amère contenue dans cette poussière3.
Outre l’huile que l’on obtient par la distillation et l’acide tannique qui n’est pas non plus sans valeur au point de vue de la préparation de la bière, la résine et la matière amère méritent surtout d’être distinguées. On les obtient toutes les deux en traitant par l’alcool la poussière jaune des fleurs du houblon. On ajoute de l’eau à cette teinture et on distille ; ce qui détermine la séparation d’une très grande quantité de résine.— On sature l’acide tannique et l’acide malique au moyen de la chaux, et on évapore la liqueur. Si l’on traite le résidu par l’éther pour séparer encore une petite quantité de résine, puis par l’alcool, la matière amère se dissout dans l’alcool et peut en être retirée par l’évaporation.
La matière amère du houblon est une substance jaune, solide, peu soluble dans l’eau, très soluble dans l’alcool, moins soluble dans l’éther ; elle est inodore et d’une saveur très amère ; elle présente une faible tendance à se combiner tant avec les bases métalliques qu’avec les acides.
La résine de houblon peut être obtenue pure par l’action de l’eau bouillante. À l’état pur, cette résine est exempte de toute saveur amère : elle est insoluble dans l’eau, mais elle est, au contraire, très soluble dans l’alcool et dans l’éther.
La résine des houblons a été l’objet de recherches faites par Vlaanderen4.
D’après ce chimiste, la résine de houblon peut être représentée par C54H36O12, et soumise à des traitements réitérés par l’eau, elle peut s’associer en outre n. HO.
L’huile éthérée de houblon est une huile jaune, dont on retire, dit-on, de la poussière de houblon, par la distillation, une quantité que l’on peut évaluer à 2%. Je ne l’ai cependant jamais vu obtenir en pareille quantité. La résine retient du reste une très grande quantité d’huile. Cette huile volatile est plus ou moins soluble dans l’eau : elle se dissout facilement dans l’alcool et dans l’éther. Sa pesanteur spécifique a été trouvée = 0,908.
On trouve donc dans la poussière de houblon quatre parties constituantes principales : des huiles volatiles, de la résine, une substance amère et de l’acide tannique.
Fleurs de houblon. — Suivant Wimmer, les chatons dont on a séparé la poussière (dont ils ne peuvent qu’avec difficulté être séparés entièrement), ne renferment pas d’huile, mais contiennent une quantité beaucoup plus grande de la substance amère du houblon et d’acide tannique : ils ne paraissent cependant pas être exempts de résine. Il résulterait de là que la poussière de houblon fournirait seule l’huile volatile et que la poudre et les folioles de la fleur fourniraient toutes deux la substance amère du houblon et de la résine5.
Way et Ogston d’une part, et Hawkhurst d’autre part ont déterminé par l’analyse les parties constituantes inorganiques du houblon. Watts et Nesbit en ont également effectué la détermination6.
C’est surtout à son principe amer qu’est due en général action physiologique qu’exerce le houblon : on a comparé action à celle de l’opium, et on a attribué au houblon un pouvoir narcotique ; mais je ne trouve pas que l’on ait fait voir suffisamment sur quelles raisons on s’appuyait. On a cru, en outre, voir dans l’infusion de houblon appliquée à froid sur la peau, un diurétique, et, dans la même infusion appliquée à chaud, un diaphorétique. Mais ce que l’on trouve indiqué sur ce sujet dans les traités de matière médicale peut bien ne pas avoir plus de valeur que ce que l’on a dit d’un si grand nombre d’autres substances.
À part le rôle que le houblon joue dans la préparation de la bière, la matière amère du houblon paraît devoir être considérée comme étant la partie constituante qui est, principalement, sinon exclusivement, active au point de vue physiologique.
Cette opinion ne paraît pas s’accorder avec celle de Rochleder7, qui attribue au houblon et au chanvre une action plus ou moins pareille.—Wagner considère comme probable qu’il existe dans le houblon un alcaloïde doué de propriétés narcotiques : il propose même d’employer dans la fabrication de la bière le chanvre comme succédané du houblon. Le pouvoir narcotique du hatschich, que l’on prépare au moyen du chanvre, paraît l’avoir conduit à cette opinion.
Le houblon est une plante qui ne peut, comme le grain, être conservée pendant un temps indéfiniment prolongé sans subir de modification, même lorsqu’il se trouve dans les circonstances les plus favorables à sa conservation. Si on le maintient exposé à l’air, le houblon perd de la valeur, d’instant en instant, et, tandis que le grain peut très bien être employé l’année suivante, le houblon, au contraire, a considérablement perdu de sa valeur. C’est surtout l’huile volatile qui est la cause de cette diminution de valeur. La matière amère qui existe dans le houblon ne paraît rien perdre ; l’acide tannique diminue peu à peu de quantité ; mais le principe volatil se dégage de la plante et se disperse dans l’atmosphère, ou bien s’oxyde en partie, ce qui fait prendre au houblon une odeur désagréable.
En outre, le houblon, de même que toutes les parties foliacées des plantes, ou les parties des feuilles qui présentent une faible épaisseur, lorsqu’elles sont étendues au contact de l’air, est exposé au mode de décomposition qui a reçu le nom d’érémacausie. La plante prend une couleur foncée et toutes ses parties constituantes sont entraînées de plus en plus dans le domaine de la transformation chimique.
On a proposé de dessécher le houblon et de le soustraire au contact de l’air, ce qui supprimerait ou du moins amoindrirait deux des conditions qui pourraient y produire une transformation chimique.
La dessiccation du houblon peut être opérée au moyen de la chaleur artificielle : mais on doit avoir soin de ne pas soumettre, pour le dessécher, le houblon à une température trop élevée, afin de ne pas déterminer la volatilisation d’une trop grande quantité des principes volatils qu’il contient.
Pour soustraire le houblon au contact de l’air, on en opère la compression ou le soufrage, pour lequel on se sert d’acide sulfureux. Le soufrage est rejeté dans quelques localités. Fordos et Gélis ont indiqué un moyen de s’assurer de la présence ou de l’absence de l’acide sulfureux. Dans ce but, on met ce houblon dans un vase avec de l’eau ; on y introduit L’hydrogène de zinc et on ajoute de l’acide chlorhydrique. L’hydrogène à l’état naissant forme alors, aux dépens de l’acide sulfureux, de l’eau et de l’hydrogène sulfuré, que l’on peut facilement reconnaître en faisant passer le gaz qui se dégage dans une dissolution d’acétate de plomb.
Wagner conseille d’employer dans ce but le nitrocyanure de sodium, qui prend une couleur rouge-pourpre par l’action d’une trace, même très faible, de gaz hydrogène sulfuré lorsqu’on fait passer ce gaz dans une dissolution de ce sel additionnée de potasse.
Quelque sensible que soit cette réaction, Wagner n’a pu, on l’employant, trouver au bout de quelques mois aucune trace d’acide sulfureux dans du houblon soufré.
Liebig s’est prononcé en faveur du soufrage du houblon et il a soutenu, avec raison, l’innocuité de ce moyen si simple de conserver une portion de plante qui, sans cela, entrerait rapidement en décomposition et qui, par ce moyen, peut devenir susceptible d’être expédiée et conservée sans rien perdre de sa valeur et sans prendre aucune propriété nuisible. Il cite, à l’appui de son opinion, la proposition de Braconnot8, de conserver, au moyen de l’acide sulfureux, les légumes employés aux usages domestiques, comme la chicorée, les asperges, l’oseille, etc.9.
En place de houblon, on a employé l’absinthe, le gingembre, la coriandre, le quassia et d’autres substances ; on a proposé aussi, pour remplacer le houblon, de se servir de menianthes trifoliata10. Mais, pour qu’il fût possible de remplacer le houblon par une autre substance, il faudrait d’abord que cette substance contînt de l’acide tannique, afin qu’elle pût remplir, dans la préparation de la bière, certaines fonctions dont nous parlerons plus loin et que l’acide tannique seul peut remplir. Au point de vue de la saveur, les matières d’une amertume franche, comme le quassia, etc., pourraient parfaitement être employées comme succédanées du houblon. En outre, il faudrait une matière qui contîut une huile éthérée : la résine, qui est un produit d’oxydation de l’huile éthérée, peut bien être considérée comme n’ayant que peu d’influence.
Une substance, pour être considérée comme un véritable succédané du houblon, doit donc réunir ces trois substances, ou bien alors on doit, pour remplacer le houblon, employer trois corps qui, réunis, contiennent les trois substances indiquées.
Nouveau Système de chimie organique, 1838, t. II, p. 184. ↩
Dictionnaire des arts et métiers, art. HOUBLON, et Journal de pharmacie, t. VIII, p. 209 : Payen. Chevallier et Chappellet, Traité du Houblon 1825, in-12. ↩
Ives, Annals of Philosophy, new series, t.I, p. 194 Planche Journal de pharmacie, t. VIII, p. 288. Payen et Chevallier. Journal de pharmacie, t. VIII, p. 209, et Annales de chimie et de physique, t. XX, p. 301, 1822. ↩
Scheik. Onderez, II Deel, 2 Stück, 1858, p. 87. ↩
Sur le houblon, on peut consulter encore Journal de pharmacie, t. IV, p. 479 ; t. VIII, p. 75, 320, 351, 535, et t. IX, p. 558, ledum palustre employé dans la fabrication de la bière commune succédané du houblon. ↩
Phil. mag., Jan. 1848, p. 54 ; Archiv. der Pharm., t. CV, p. 200. ↩
Erdmann’s Journal, t. XXXVIII, p. 356. ↩
Annalen der Pharmacie, t. XXIV, p. 104. ↩
Wagner’s Jahresbericht, 1855, p. 203 : Siemens, in Polytechnisches Central-Blatt, 1858, p. 1429 ; Habich, Der Bierbrauer, 1859, n°1, p. 3. ↩
Journal de pharmacie, t. XIV, p. 495. ↩