Le-guide-du-brasseur

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Si l’on voulait s’occuper des diverses semences au moyen desquelles on peut préparer de la bière, ce n’est qu’avec difficulté que l’on pourrait en fixer le nombre. Toutes les substances qui contiennent de l’amidon, peuvent fournir de la dextrine et du sucre. Ce sucre peut fermenter : on peut donc préparer de la bière avec toutes les substances qui contiennent de l’amidon. Il n’y a pas de motif pour que l’on ne puisse pas également bien employer à cette préparation les pois et les haricots. Le riz peut très bien servir à la préparation de la bière : il en est de même du sarrasin et du seigle. Dans les pays où le maïs est cultivé en abondance, on s’en sert quelquefois pour la préparation de la bière ; dans d’autres endroits, on emploie du seigle : en Angleterre, on emploie quelquefois de l’avoine. Mais les espèces de grains les plus en usage sont l’orge et le froment : c’est par cette raison que nous nous bornerons surtout à l’examen de la composition de ces deux sortes de grains.

Le froment donne une bonne bière, surtout lorsqu’il est mélangé avec l’orge ; mais le prix du froment est comparativement trop élevé pour que l’on puisse l’employer de préférence à la fabrication dé la bière.

La bière de seigle est difficile à obtenir claire, et elle a, par suite, beaucoup de tendance à devenir acide : en outre, elle possède l’odeur et la saveur du pain de seigle.

La bière d’avoine est également trouble et, comme la bière de seigle, elle est exposée à devenir acide.

Dans la préparation de quelques bières blanches de Belgique, on emploie de l’avoine avec l’orge. Le froment est un ingrédient qui ne fait jamais défaut dans la préparation d’un grand nombre de bonnes espèces de bières, surtout en Belgique. Pour la préparation des bières de qualité inférieure, on emploie en Belgique le sarrasin à la place de froment ; dans d’autres endroits, on emploie l’épeautre.

Le maïs et le riz donnent des bières très agréables. En Hollande, il n’y a pas lieu de s’en occuper. En outre, il existe dans les bières faites avec le maïs et avec le riz une quantité bien moindre de ces phosphates que l’on trouve dans les bières préparées avec l’orge et que nous considérons comme des parties constituantes essentielles de la bière. Le grain est un des ingrédients principaux nécessaires à la préparation de la bière. On peut bien, sans employer aucune espèce de grain, préparer une boisson agréable, plus agréable même que la bière : mais on ne doit plus désigner cette boisson sous le nom de bière.

On a toujours pensé à employer dans la préparation de la bière une matière qui soit d’un prix moins élevé que le grain, et on devait nécessairement employer dans ce but les pommes de terre. Dœbereiner, entre autres, s’est beaucoup occupé de ce sujet1.

Suivant ce chimiste, il suffit de transformer au moyen de la diastase la fécule de pommes de terre en dextrine et en sucre, de faire bouillir avec du houblon la liqueur qui en résulte et d’en déterminer la fermentation au moyen d’un ferment. On prétend obtenir de cette manière une bière qui peut être comparée aux meilleures ales anglaises.

En présence des travaux des chimistes sur ce sujet, on a lieu d’être étonné que la saveur et les autres propriétés appréciables par les sens soient seules employées comme caractères spécifiques et que l’on ait entièrement laissé de côté la composition chimique. La fécule de pommes de terre peut assurément se transformer en dextrine et en sucre : cette dextrine et ce sucre peuvent, lorsqu’on les traite par l’eau, donner une dissolution que l’on peut faire bouillir avec du houblon : le sucre pouvant fermenter, on peut obtenir ainsi une liqueur qui, outre les parties constituantes du houblon, contienne de l’alcool et de l’acide carbonique, et en outre du sucre, de la dextrine et de l’eau, mais rien de plus. Les matières albumineuses que contient la bière préparée avec du grain ne s’y trouvent pas, non plus que les sels et les autres substances qui font de la bière un aliment d’une grande valeur.

S’il s’agissait seulement de préparer une boisson rafraîchissante, d’une saveur agréable, il n’y a pas de doute que l’on pourrait obtenir au moyen de la fécule de pommes de terre une boisson de ce genre qui, pour beaucoup de personnes, présenterait même probablement une saveur plus agréable que le plus grand nombre des bières. Mais on ne doit pas plus donner le nom de bière à cette liqueur que l’on ne doit appeler vin le jus de groseilles que l’on a fait fermenter.

Au point de vue physiologique, on ne doit donc pas confondre avec la bière toutes les boissons fermentées qui sont préparées, non avec du grain, mais avec d’autres substances qui contiennent de l’amidon. Cependant, au point de vue économique, on peut approuver l’emploi des autres substances qui contiennent de l’amidon (et surtout des pommes de terre). Si, dans la bière ainsi préparée, les principes nutritifs manquent, on peut remédier à cet inconvénient par l’usage du grain. Il est positif (et nous le prouverons d’une manière bien nette dans l’examen qui va suivre) que, dans la préparation de la bière au moyen d’une substance quelconque qui contient de l’amidon, il ne se produit aucune substance nutritive particulière que l’on ne puisse obtenir également bien au moyen de toute autre substance qui contient de l’amidon, et par conséquent au moyen des pommes de terre ou du riz, et que les principes nutritifs qui font défaut peuvent très bien être suppléés par l’usage de la farine de grains soumise à la cuisson.

En ce qui concerne la préparation de la bière en particulier, nous avons cependant à prendre en considération les différentes espèces de grains et nous devons étudier avec exactitude leur composition : d’une part, pour nous rendre compte des décompositions qu’ils éprouvent pendant les opérations successives à l’aide desquelles on arrive à la préparation de la bière et, d’autre part, pour déduire des parties constituantes mêmes du grain quelles sont celles que la bière, doit contenir.

On a fait des recherches analytiques sur la composition des grains : mais c’est seulement dans les dernières années que l’on a fait des analyses comparées des grains et des malts que l’on prépare au moyen de ces grains, ainsi que des résidus que laissent ces malts lorsqu’ils ont été épuisés par l’eau, telles que nous en avons besoin pour arriver à la connaissance de la préparation de la bière, et encore ces analyses sont en petit nombre, en sorte que nous manquons sous ce rapport des connaissances nécessaires. C’est par ce motif que j’ai engagé M. Oudemans à faire ces analyses dont il s’est occupé avec empressement. Non seulement, il a fait l’analyse de l’orge, du froment, du seigle et de l’avoine (j’ai cru, dans mes recherches sur la bière, pouvoir me borner à l’étude de ces quatre espèces de grains), mais il a fait aussi l’analyse des différentes espèces de malt qui correspondent à chacun d’eux, l’analyse du malt d’orge à différents degrés de dessiccation, et enfin l’analyse des résidus du brassage de ces grains, de la matière appelée drèche (en allemand treber, en anglais grains, en hollandais draf.) Nous sommes donc redevables à M. Oudemans des résultats de toutes ces analyses.

J’indiquerai ici en peu de mots les méthodes qu’il a suivies dans ces analyses.

Les analyses des différentes sortes de grains et de malt, ainsi que celles des drêches correspondantes, ont toutes été faites par la même méthode. Dans tous les cas, les enveloppes des grains ont été comprises dans l’analyse, ainsi que, du reste, il était convenable de le faire. Les résultats trouvés pour la composition des différentes espèces de grains ne doivent par conséquent pas être considérés comme s’appliquant à la farine blutée, mais à la totalité du grain préalablement moulu très fin.

La dessiccation du grain a été effectuée à une température de 140°C. À cette température, le grain perd toute son eau en trois ou quatre heures.

Pour séparer la matière grasse, on a épuisé par l’éther le grain préalablement desséché, puis moulu ; on a évaporé l’éther et pesé le résidu.

L’extrait alcoolique a été obtenu en traitant par l’alcool absolu le grain préalablement desséché et moulu : on a évaporé jusqu’à siccité et on a traité le résidu par l’éther pour séparer la matière grasse. Le résidu qui restait ensuite a été desséché à 120°C, puis pesé.

La quantité d’azote a été déterminée par le procédé de Will et de Varrentrapp.

La détermination des matières cellulaires mérite une mention spéciale. Oudemans a évité dans cette détermination les erreurs que présentent toutes les autres méthodes, et surtout le traitement par les acides avec l’aide de la chaleur, par la méthode de Millon et de Péligot, au moyen duquel une portion plus ou moins grande des matières cellulaires peut être transformée en dextrine ou en sucre ; en sorte que la quantité de matières cellulaires que l’on obtient, est alors trop petite dans la même proportion.

On fait digérer pendant deux heures, à une température de 70°C, un poids déterminé de grains bien moulus, avec une infusion de malt bien claire. De cette manière, tout l’amidon se dissout. On reprend ensuite le résidu par une dissolution étendue de potasse. Après la digestion avec l’infusion de malt, on traite successivement le résidu par la dissolution étendue de potasse, par l’eau chaude, par l’acide acétique étendu, par l’éther, par l’alcool et par l’eau, et enfin on fait dessécher le résidu à 120°C.

La quantité de matières cellulaires obtenue par cette méthode est bien plus forte que ne l’a trouvé Péligot, par exemple2. Il restait encore à déterminer si, au moyen de l’infusion de malt et de la potasse, tout l’amidon et toutes les matières albumineuses devenaient solubles aussi bien qu’au moyen de la potasse seule. Oudemans s’est occupé de cette détermination. Il s’est spécialement assuré de l’absence de l’amidon au moyen de l’iode, qui ne déterminait aucune trace de coloration, et de l’absence de matières albumineuses en essayant si les matières cellulaires contenaient de l’azote, par la méthode de Will et de Varrentrapp : il n’a obtenu ainsi aucune trace d’ammoniaque.

Cette méthode de dosage des matières cellulaires me paraît mériter la préférence sur toutes les méthodes connues jusqu’ici. En outre, elle est applicable à toutes les portions de plantes, qui contiennent de l’amidon3. Cependant, elle n’est pas exempte d’erreurs : dans le traitement par la dissolution de potasse notamment, les matières cellulaires qui constituent l’enveloppe du grain et qui ne sont pas de la cellulose, mais qui ne sont pas non plus de la nature de l’amidon et de la dextrine, peuvent être attaquées, en sorte que, par cette méthode aussi, surtout à cause du traitement au moyen d’une dissolution étendue de potasse, on obtient pour les fibres ligneuses, ou, si l’on veut, pour les substances inertes, qui sont également sans utilité pour la préparation de la bière, une quantité un peu plus faible que celle que l’on devrait obtenir.

Dans les analyses d’Oudemans, cette erreur s’élève au plus au cinquième (20%) de ce qui est compris sous le nom de matières cellulaires : je ne dis ni matière cellulaire, ni cellulose, mais je dis matières cellulaires.

Les parties constituantes solubles dans l’eau qui existent dans les grains et dans les différentes sortes de malt, ont été déterminées on épuisait les grains ou les malts par l’eau froide et on évaporait jusqu’à siccité les dissolutions ainsi obtenues. Pour les grains, cette opération pouvait être facilement effectuée ; mais, pour les malts, elle présentait un certain degré de difficulté, ce qui venait de ce que les matières albumineuses que ces malts contenaient se décomposaient très facilement et déterminaient également la décomposition de l’amidon. Par suite, on obtenait, d’une part, des résultats inexacts, et, d’autre part, la filtration devenait impossible.— Le seul mode d’opérer qui restait à employer, était le suivant : après avoir moulu le malt en poudre fine, on le laisse digérer pendant quelques heures avec de l’eau froide, en ayant soin d’agiter de temps en temps : on laisse ensuite les parties solides se déposer : on décante la liqueur claire au moyen d’une pipette, on la porte dans un vase taré; on l’évapore, on la dessèche à 120° puis on pèse le résidu.

Il est hors de doute, suivant l’opinion d’Oudemans, que la quantité des parties constituantes du malt qui sont solubles dans l’eau est estimée ainsi à une valeur trop élevée : en effet, d’une part, les matières albumineuses qui étaient insolubles, peuvent devenir solubles, et d’autre part, pendant que la matière reste en contact avec l’eau, une certaine quantité de l’amidon existant dans le malt, a pu se transformer en dextrine. Mais cet inconvénient ne peut pas être évité ; en effet, lorsqu’on veut évaluer la quantité des principes solubles dans l’eau, il faut traiter par l’eau.

Le sucre, dont la présence avait été indiquée dans toutes les espèces de grains, n’y a pas été trouvé par Oudemans, ce qui est du reste conforme avec l’opinion de Péligot qui avait signalé l’absence du sucre dans le froment.

Lorsque nous émettons l’opinion qu’il n’existe pas, dans le grain, de sucre tout formé, nous devons avant tout dirige notre attention sur une petite quantité de sucre qui paraît se comporter comme du sucre de canne, ainsi que d’une autre matière de saveur douceâtre qui, à l’apparence, paraît identique avec la glycyrrhizine, et qui ont été trouvées toutes les deux par Millon4 dans le son du froment.

Les expériences d’Oudemans ont donné sur ce sujet les résultats suivants : après avoir moulu en poudre fine l’orge, le froment, le seigle et l’avoine, on les épuise par l’alcool absolu. On évapore ensuite l’alcool, puis on traite le résidu par l’eau. Une partie de la liqueur résultant du traitement par l’eau, essayée au moyen de la dissolution cuivrique si connue, a produit une réduction pour les quatre sortes de grains. Pour le froment, la réduction a été rapide, tandis que, pour le seigle, pour l’orge et pour l’avoine, elle a été lente.

Oudemans a fait bouillir avec de l’acide acétique concentré une autre portion de la même liqueur : il a évaporé ensuite le tout jusqu’à siccité : il a redissous dans l’eau la masse desséchée et il a essayé, au moyen de la dissolution cuivrique, la liqueur ainsi obtenue. Dans les liqueurs provenant des quatre sortes de grains, il s’est produit alors une réduction instantanée et si l’on considère la substance qui a déterminé la réduction comme étant du sucre de canne, on obtient pour cent, dans chacune des espèces de grains indiquées :

Source Sucre
Dans le froment0,22%
Dans l'orge 0,19%
Dans le seigle 0,08%
Dans l'avoine 0,12%

Le maximum s’élève donc dans le grain à 0,002.

Cette matière est-elle réellement du sucre ? Je ne crois pas qu’il y ait aucun motif de la considérer comme du sucre. Avant que l’on eût fait bouillir la liqueur avec l’acide acétique concentré, la réduction de la dissolution cuivrique était lente, bien que, cependant, elle eût également lieu ; mais, par l’intervention de l’acide acétique, la réaction devenait plus prononcée.

La seule conclusion que l’on puisse en tirer, c’est que l’alcool a enlevé au grain une trace de dextrine, substance qui existe toute formée dans le grain et qui jouit également de la faculté de réduire la dissolution cuivrique. La dextrine est bien par elle-même insoluble dans l’alcool, mais la glutine pourrait peut-être déterminer la dissolution d’une petite quantité de dextrine dans la liqueur alcoolique; cette dextrine exercerait alors sur la dissolution cuivrique une action réductrice directe, mais lente. La réduction serait au contraire rapide, lorsque, par l’action de l’acide acétique, cette substance se serait transformée en sucre de raisin.

Oudemans a trouvé plus tard que cette manière d’envisager ce qui se passe était pleinement confirmée par les résultats que l’on obtenait en traitant par l’alcool bouillant une quantité considérable de grains préalablement moulus.

On peut donc, en s’appuyant sur ces raisons, considérer comme prouvée l’absence du sucre dans les quatre espèces de grains indiqués. Dans les analyses anciennes dans lesquelles le sucre figure toujours comme principe constituant du grain, ce sucre est un produit de métamorphose de la dextrine et de transformation de l’amidon en dextrine pendant le cours de l’analyse. Lorsqu’on veut s’assurer de la présence ou de l’absence du sucre, on doit traiter, non par l’eau, mais par l’alcool absolu.

Millon5, en traitant par l’alcool du son de froment qui avait donné à l’analyse 50% d’amidon et de dextrine, a obtenu 2% de sucre qui, suivant lui, était mélangé avec de la glycyrrhizine. Ce sucre devait être de la dextrine ; en effet, il faisait dévier à droite la lumière polarisée, et, après avoir été traité par les acides, il la faisait au contraire dévier à gauche. Avant d’avoir été traité par un acide, il ne réduisait pas la solution cuivrique, tandis qu’il la réduisait au contraire après leur action. Millon croyait pouvoir considérer ce sucre comme du sucre de canne. Cependant il n’avait pas pu le faire cristalliser. Nous avons vu que c’est de la dextrine.

Dans le malt, il doit nécessairement se trouver du sucre. Ce sucre, ainsi que la dextrine et l’amidon qui existent aussi dans le malt, a été déterminé de la manière suivante :

Pour déterminer le sucre, on a épuisé par l’alcool le malt. préalablement moulu ; on a évaporé l’alcool, on a traité le résidu par l’eau ; on a ramené la dissolution à un volume fixé, et on y a déterminé la proportion de sucre au moyen de la liqueur cuivrique si connue. En traitant par l’eau l’extrait alcoolique, on sépare la dextrine. Enfin, en faisant digérer le résidu avec de l’acide sulfurique étendu, on transforme l’amidon en sucre, que l’on détermine au moyen de la dissolution cuivrique. Pour trouver la quantité de dextrine on transforme la dextrine en sucre, et on détermine, au moyen de la dissolution cuivrique, le sucre obtenu.

Toutes ces dissolutions, lorsqu’elles contenaient de l’acide sulfurique, étaient saturées avec soin par la potasse avant d’être essayées au moyen de la dissolution cuivrique. En outre, on les faisait digérer avec une petite quantité de charbon animal, afin de se débarrasser des substances qui auraient pu exercer sur l’essai saccharimétrique une influence fâcheuse et qui pouvaient être séparées au moyen du charbon animal.

En même temps que l’acide sulfurique opère la transformation de l’amidon, il transforme aussi une partie de la cellulose en sucre. Pour corriger l’erreur qui affecterait ainsi la quantité d’amidon trouvée, Oudemans traite successivement par une dissolution de potasse, par l’acide acétique, par l’eau, par l’alcool et par l’éther, la matière cellulaire qui est restée comme résidu après le traitement par l’acide sulfurique ; la différence en moins qu’il trouve entre la quantité de matière cellulaire ainsi obtenue et la quantité de matière cellulaire obtenue directement par le procédé indiqué précédemment au moyen de l’extrait de malt de froment, est ensuite retranchée de la quantité d’amidon que l’on a déduite de la quantité de sucre produite par l’action de l’acide sulfurique. — 90 parties d’amidon, de dextrine ou de cellulose représentent également 100 parties de sucre de raisin.

La détermination de la cendre a été opérée par les méthodes connues : la carbonisation et la combustion des substances s’effectuaient rapidement et facilement dans des capsules spacieuses.

Les analyses d’Oudemans ne laissent à désirer qu’en ce qu’on ne connaît pas la provenance des grains qu’il a employés, et que les matières albumineuses n’ont été déterminées qu’indirectement, on les déduisait de la proportion d’azote que contenaient ces grains. On peut évaluer à 15,5% la quantité d’azote que contenaient ces matières albumineuses.

En ce qui concerne la provenance des grains qui ont servi dans les analyses, sa connaissance ne présentait ici aucune importance ; en effet, il ne s’agit pas ici de donner un aperçu des principes qui constituent les grains, mais il est question d’obtenir un examen comparatif du grain, du malt, de la drêche et de la bière : il était donc indifférent de ne pas savoir quelle était la provenance de ces grains. Comme point de comparaison j’ai inséré en outre les analyses des espèces de grains indiquées, faites par d’autres chimistes, autant du moins qu’elles paraissent avoir quelque valeur.

J’ai pensé qu’il était convenable d’indiquer ici seulement les résultats généraux auxquels les expériences d’Oudemans ont conduit, et de réserver les détails pour les endroits où il serait question de chaque sujet en particulier.

J’ai en outre jugé bon de donner ici les résultats des analyses des cendres de grains d’orge et de malt d’orge qui ont été obtenus dans le laboratoire d’Utrecht par MM. Veltman et Mœsman.

Composition des différentes espèces de grains et des malts correspondants.
100 parties contiennent ou donnent par leur transformation Orge Malt Drêche (Malt épuisé) Froment Malt de froment
desséché à l'air
Seigle Malt de seigle
desséché à l'air
Avoine Malt d'avoine
desséché à l'air
desséché à l'air desséché à la touraille fortement desséché à la touraille desséchée plus fortement desséchée encore plus fortement desséchée très fortement desséchée
Dextrine4,56,55,89,40,00,00,00,04,56,25,212,75,07,1
Amidon53,847,351,243,99,56,75,33,857,050,356,542,147,037,3
Sucre0,00,40,60,80,00,00,00,00,01,60,01,10,00,4
Matières cellulaires7,711,79,410,66,27,89,47,76,18,07,811,914,522,6
Matières albumineuses9,711,09,19,74,14,75,44,311,511,910,411,712,113,3
Matières grasses2,11,82,12,40,40,30,40,31,82,01,41,55,44,1
Matières inorganiques2,52,62,42,61,11,31,21,11,71,81,81,82,83,1
Eau18,116,111,18,279,379,178,682,516,014,416,415,614,914,1

Extrait alcoolique0,73,74,14,4............0,84,41,25,20,64,1
Extrait aqueux7,011,017,021,00,10,10,10,16,817,08,224,37,911,0
Composition des cendres d'orge et de malt d'orge.
Orge Malt d'Orge
desséché à l'air.
Malt d'Orge
desséché à la Touraille[^a]
Malt d'Orge
desséché fortement à la Touraille
Veltman Mœsman Veltman Mœsman Veltman Mœsman Veltman Mœsman
Potasse17,017,516,015,616,117,020,320,8
Soude5,96,35,24,42,32,04,64,2
Chaux2,73,14,04,94,24,26,05,6
Magnésie7,26,86,57,16,15,65,86,0
Sexquioxyde de fer0,50,50,90,91,51,90,81,0
Acide phosphorique30,3perdu30,631,029,128,435,835,0
Acide sulfurique1,41,51,11,02,01,80,70,8
Acide silicique insoluble7,17,035,135,312,011,414,525,9
Acide silicique soluble26,026,726,427,112,1
Chlore1,31,30,40,40,10,10,10,1
La quantité des matières inorganiques contenues dans l'orge varie de 2,1 à 2,6%.

De l’orge.

En réalité, la connaissance de la composition de l’orge et du froment nous est complètement suffisante pour nous rendre compte de tout ce qui a rapport à la bière telle qu’on la fabrique actuellement : en effet, on fabrique la bière presque exclusivement avec l’orge, soit seule, soit mélangée avec du froment, germé ou non germé. Je ferai donc seulement un examen approfondi de l’orge et du froment, et si, dans les analyses d’Oudemans, on trouve des indications relatives aux autres espèces de grains, cela n’est pas tant parce que ces indications présentent une importance spéciale au point de vue de la connaissance de la bière, que plutôt pour faire connaître d’une manière plus positive les transformations que les grains, comme l’orge et le froment, subissent par l’acte de la germination. L’orge est particulièrement convenable pour la préparation de la bière : elle donne, en effet, lorsqu’on l’a fait germer, une proportion de diastase si forte que, par l’action de celle-ci, non seulement la matière amylacée contenue dans l’orge, mais encore celle que peut contenir une quantité additionnelle considérable de froment et d’autres substances farineuses comme l’avoine, le maïs, le riz, le sarrasin, et même de fécule de pommes de terre, peuvent être transformées en dextrine et en sucre.

Pour préparer une bonne bière, il faut faire usage d’un grain d’orge compact, bien plein, qui, lorsqu’on le casse, soit coloré en jaune à l’intérieur, qui soit riche en matière amylacée et qui soit enveloppé extérieurement d’une partie corticale mince, lisse, luisante. L’orge qui a poussé dans un sol calcaire est considérée comme devant être préférée à celle qui a poussé dans un sol argileux.

Parmi les nombreuses variétés de l’orge, ce sont les variétés que l’on désigne sous les noms d’Hordeum vulgare distichon et d’Hordeum vulgare hexastichon, que l’on emploie spécialement pour la préparation de la bière.

La première variété mûrit plutôt que la seconde, et elle est, pour la fabrication de la bière, plus estimée que la seconde, dont le grain, lorsqu’on le place en tas sans qu’il soit entièrement sec, s’échauffe facilement et acquiert, par suite, des propriétés moins agréables qui conviennent moins lorsqu’on s’en sert pour la préparation de la bière. Outre ces deux espèces d’orge, on emploie encore l’Hordeum zeocriton, l’Hordeum nudum ou cœleste.

Quelle que soit du reste l’espèce d’orge que l’on emploie, on doit, dans tous les cas, éviter le mélange des orges de date plus ancienne et des orges de date plus récente : en effet, les unes et les autres, bien que placées dans un même local, ne prennent pas, par leur germination, un même degré de développement et ne subissent pas les mêmes transformations chimiques.

Pour préparer une bonne bière qui ne se démente pas, une condition essentielle est d’employer autant que possible de l’orge d’une seule et même sorte et d’un même âge.

L’orge a été analysée par divers chimistes. La place nous fait défaut pour reproduire toutes ces analyses. Nous avons donné, dans le premier des tableaux précédents, les résultats obtenus par Oudemans. Ce chimiste a opéré, non sur la farine mais sur le grain d’orge entier avec son enveloppe, ainsi que cela est nécessaire pour se rendre compte de la préparation de la bière. Nous reproduisons ci-dessous ces chiffres déjà connus, et nous ajoutons en regard les nombres qui correspondent à l’orge desséchée.

Composition de l'orge, d'après Oudemans.
Orge non desséchéeOrge desséchée
Amidon 53,8 65,7
Dextrine 4,5 5,5
Matières cellulaires 7,7 9,4
Matières albumineuses 9,7 11,8
Matière grasse 2,1 2,5
Substances inorganiques 2,5 3,1
Eau 18,1 ---
Autres substances 1,6 2,0
100,0 100,0

Pour ce qui concerne les matières constituantes spéciales de l’orge, on ne possède presque que le peu de renseignements qui suivent :

Par la distillation de 4 livres d’orge, additionnées de 4 livres d’eau et de 6 livres d’acide sulfurique, Emmet a obtenu de l’acide formique6 et Beckmann7 un acide gras solide qu’il a nommé acide hordéique. Cet acide fond à 60°C, possède pour composition C24H24O4 et il est par conséquent isomérique avec l’acide laurostéarique.

Par la saponification de la matière grasse extraite directement de l’orge au moyen de l’éther, Beckmann a obtenu un acide gras liquide, huileux, et un acide gras solide. Ce dernier, dont le point de fusion se trouve à 56°C, n’est pas, d’après Beckmann, susceptible d’être transformé en acide hordéique. Même en le distillant avec de l’acide sulfurique étendu, on ne pouvait pas le transformer en acide hordéique. Beckmann n’a pas réussi non plus à obtenir de l’acide hordéique en distillant avec de l’acide sulfurique l’orge dont on a séparé la matière grasse au moyen de l’éther.

Les analyses de cendres d’orge faites par Veltman et Moesman dans le laboratoire d’Utrecht donnent les résultats suivants :

Analyse des cendres d'Orge.
VeltmanMoesman
Potasse 17,0 17,5
Soude 5,9 6,3
Chaux 2,7 3,1
Magnésie 7,2 6,8
Sesquioxyde de fer 0,5 0,5
Acide phosphorique 30,3 31,0*
Acide sulfurique 1,4 1,5
Acide silicique insoluble7,133,17,033,7
Acide silicique soluble 26,026,7
Chlore 1,3 1,3
* : Cet acide phosphorique pr. vient de la cendre d'un malt d'orge. La détermination de l'acide phosphorique de l'orge elle-même avait été perdue.

Ces analyses peuvent être considérées comme établissant d’une manière positive la composition des cendres d’orge. Si on laisse de côté une petite quantité de chlorures et de sulfates et une quantité assez considérable d’acide silicique, on voit que l’orge est surtout riche en phosphates.

La composaition de ces cendres est vraiment remarquable. Si, par exemple, dans les analyses de Veltman et de Moesman, nous faisons abstraction de la quantité d’acide silicique et de sesquioxyde de fer, nous obtenons en nombres ronds :

Potasse 170,0
Soude 60,0
Chaux 3,0
Magnésie 7,0
Acide sulfurique 1,4
Chlore 1,3
Acide phosphorique 30,0

1,4 d’acide sulfurique exigent, pour former du sulfate de potasse, 1,6 de potasse ;
il reste 17,1 - 1,6 = 15,4 KO.

1,3 de chlore, pour former du chlorure de sodium, demandent 0,8 de sodium : 0,8 de sodium correspondent à 1,1 NaO :
il reste 6 - 1,1 = 4,9 NaO.

Si nous considérons la totalité de l’acide phosphorique comme combinée aux bases que nous trouvons encore dans la cendre, nous obtenons :

Bases Acide
phosphorique
Potasse 15,4 11,6 PO5, 2 KO
Soude 4,9 5,7 PO5, 2 NaO
Magnésie 7,0 12,6 PO5, 2 MgO
Chaux 3,0 2,5 PO5, 3 CaO
Total 32,4

Il ressort de là évidemment que presque toutes les bases trouvent dans la cendre d’orge une quantité d’acide phosphorique suffisante pour former des phosphates : on doit encore y joindre :

Potasse 1,6 + Acide sulfurique 1,4 = 3 SO2KO
Sodium 0,8 + Chlore 1,3 = 2,1 NaCl

Il n’est pas besoin de rappeler ici que ce n’est qu’un exemple. D’autres analyses de cendres donnent une proportion plus forte d’acide phosphorique et d’autres quantités de bases. En outre, il est surtout convenable de faire observer que ces combinaisons salines ne préexistent pas dans le grain d’orge, mais qu’on les trouve seulement dans la cendre. Dans l’orge même, on retrouve une partie de cet acide phosphorique à l’état d’acide phosphorique en combinaison avec l’albumine et une autre partie à l’état de phosphore formant une partie constituante des matières albumineuses : par l’incinération du grain d’orge, ce phosphore s’oxyde et se transforme ainsi en acide phosphorique.

Froment.

Il existe également un très grand nombre de variétés de froment. Mais, pour le but que nous nous proposons ici, nous n’avons pas besoin de les examiner en particulier ; en effet, on n’a pu reconnaître jusqu’ici dans leur composition chimique aucune différence bien nette. Un grand nombre d’expérimentateurs, parmi lesquels nous citerons Proust, Zenneck, De Saussure, Vogel, Rossignon8, Vauquelin9, Boussingault10, Dumas, Boussingaulo et Payen11, Krocker et Horsford12, se sont occupés successivement de l’analyse du froment, et nous sommes dans l’impossibilité de prétendre que nous ne possédions pas quelques bonnes analyses du froment.

Nous en citerons quelques-unes13.

Boussingault et Polson ont obtenu les résultats suivants14 :

Analyse du froment
BoussingaultPolson
Amidon 59,7 62,3*56,9**
Gluten 12,8 10,9 7,0
Albumine 1,8
Dextrine 7,2 3,8 5,3
Matière grasse 1,2 1,2 1,2
Cellulose 1,7 8,3 12,4
Substances inorganiques 1,6 1,6 1,5
Eau 14,0 14,0 14,8
* : Froment d'Amérique ancien.
** : Froment d'Écosse nouveau.

Péligot15 spécialement a donné l’analyse très détaillée du froment. En opérant sur 14 espèces de froment de provenances différentes, il a trouvé que la quantité des substances azotées variait entre 10 et 22%, en sorte que, d’après cela, la valeur nutritive du froment peut varier du simple au double. La proportion d’amidon et de dextrine varie en sens contraire. Le froment à 10% de matière albumineuse donne 74% d’amidon et de dextrine, tandis que, dans celui qui contient 22% de matière albumineuse, il n’existe que 62% d’amidon et de dextrine. Ce fait est certainement digne d’être remarqué au point de vue agricole.

La composition moyenne du froment (l’eau était déterminée par la dessiccation à 120°C), en y comprenant le grain entier sans en séparer le son, est, suivant Péligot, la suivante :

Matière grasse 1,2
Matières azotées insolubles 12,8
Matières azotées solubles 1,8
Dextrine 7,2
Amidon 59,7
Cellulose 1,7
Sels minéraux 1,6
Eau 14,0

Les résultats extrêmes trouvés par Péligot pour les différentes parties constituantes du grain sont :

Minimum Maximum
Matière grasse 1,0 1,9
Matières azotées insolubles 8,1 19,8
Matières azotées solubles 1,6 2,4
Matières non azotées solubles (dextrine) 2,3 10,5
Amidon 55,1 67,1
Cellulose 1,4 2,4
Sels 1,4 1,9
Eau 13,2 15,2

Péligot n’a pas trouvé de sucre dans le froment, pas plus que dans l’avoine. Mitscherlich n’a pas trouvé non plus de sucre dans le froment ni dans le seigle.

Millon16 a effectué de nombreuses déterminations de l’eau contenue dans la farine de froment et dans le son de froment. D’après ses observations, l’eau se sépare rapidement et complètement entre 160°C et 165°C. Dans 28 expériences faites sur de la farine de froment, il a obtenu comme limites les nombres 14,63 et 16,68% : 9 autres analyses lui ont donné les nombres 14,0 et 18,2%.

En ce qui concerne la quantité de gluten (le résidu que l’on obtient lorsqu’on malaxe le froment moulu sous l’eau après l’avoir enveloppé dans un linge) contenue dans le froment, Reiset17 nous a appris qu’elle pouvait varier de 10,7 à 17,9. Il a trouvé que la proportion de cendres variait de 1,8 à 2,3. D’après Millon18, la proportion de gluten présente des variations encore plus considérables. Une espèce de froment lui a donné seulement 6% de gluten, bien que la proportion qu’il a trouvée parût indiquer une quantité de matière albumineuse s’élevantà 10,3%. Pour une autre espèce de froment qui était également bonne, il n’a pas trouvé de gluten, bien qu’elle contint une quantité d’azote qui paraissait indiquer 11,5% de matières albumineuses.

Les travaux faits dans le but d’arriver à la connaissance de la composition du froment et de la farine de froment étaient donc loin de manquer. Cependant une analyse plus exacte du froment était d’autant plus nécessaire que, dans une des analyses antérieures, on a trouvé 1,7% et, dans une autre, de 8 à 12% de matières cellulaires.

Nous donnons ici une analyse d’Oudemans dans laquelle ce chimiste a analysé le grain de froment entier, précisément tel qu’il doit être pour pouvoir servir à la fabrication de la bière.

Analyse du grain de froment entier, par Oudemans</figcaption>

Grain
Non desséché Desséché
Amidon 57,0 67,9
Dextrine 4,5 5,4
Matières cellulaires 6,1 7,2
Substances albumineuses 11,5 13,7
Matières grasses 1,8 2,1
Substances inorganiques 1,7 2,0
Eau 16,0 ...
Autres matières 1,4 1,7
100,0 100,0

</figure>

Les analyses de Polson s’accordent encore à très peu près avec celles d’Oudemans. Boussingault et Péligot ont obtenu pour leurs déterminations de la cellulose des nombres évidemment erronés. Pour les autres parties constituantes du froment au contraire, on peut considérer les analyses d’Oudemans, de Boussingault, de Polson et de Péligot comme formant une représentation de la composition moyenne du froment.

Le sucre manque aussi dans le froment, et, pour ce qui concerne la nature des matières albumineuses qu’il contient, je m’expliquerai un peu plus loin sur leur nature.

En ce qui concerne enfin la quantité du son, il ressort des analyses d’Oudemans et de Polson qu’on l’évalue en général à un chiffre trop élevé, dans le froment de même que dans les autres espèces de grains. Si, dans le grain à l’état sec, on a trouvé 7% de cellulose, il est impossible que la quantité de son s’élève à plus de 6 à 7% : et encore pour que cela pût être, il faudrait supposer que le son ait été entièrement séparé des autres parties constituantes du grain. Même en tenant compte de la quantité de matière albumineuse contenue dans le son, on ne peut pas expliquer cette différence.

D’après Will et Fresenius, Bichon, Thon, Petzhold, Erdmann et Boussingault19, la composition des cendres de froment est la suivante :

Analyse des cendres de froment

Will et Fresenius Bichon Thon Petzhold Boussingault
Bechelbronn.
Erdmann
Froment roux Froment blanc
Potasse 21,9 33,8 6,4 24,2 25,8 30,1 25,9
Soude 15,8 ... 27,8 10,3 2,7 ... 0,4
Chaux 1,9 3,1 3,9 3,0 1,5 3,0 1,9
Magnésie 9,6 13,5 13,0 13,6 12,2 16,3 6,3
Sesquioxyde de fer 1,4 0,3 0,5 0,5 0,2 ... 1,3
Acide phosphorique 49,3 49,2 46,1 45,5 57,3 48,3 60,4
Acide sulfurique 0,2 ... 0,3 ... 0,04 1,0 ...
Acide silicique ... ... 0,4 1,9 0,3 1,3 3,4

Dans les analyses de Bichon et de Thon, la détermination des oxydes alcalins est inexacte.

Nous possédons, par conséquent, une connaissance suffisamment exacte de la composition des cendres de froment. En général, cette composition s’accorde avec celle des cendres d’orge. Cependant il existe dans le froment une quantité d’acide silicique beaucoup plus faible. On pouvait déjà prévoir ce résultat en observant la différence que présente l’enveloppe corticale de ces deux sortes de grains.

Examen comparatif de l’orge et du froment.

Dans ce qui précède, nous avons donné un aperçu des principales parties constituantes de l’orge et du froment, et des quantités relatives de ces parties constituantes que l’on trouve dans ces grains. Mais si nous voulons pouvoir répondre à certaines questions dont l’explication ne peut pas être mise de côté, nous devons entrer dans certaines particularités plus intimes que présente la composition de ces deux sortes de grains.

C’est seulement en passant que nous devons signaler la différence qui existe entre l’orge et le froment ; en effet, avec chacune de ces deux sortes de grains, on peut préparer une très bonne bière, et parmi les raisons pour lesquelles on n’emploie pas plus généralement le froment pour la préparation de la bière, le prix élevé de ce dernier n’est certainement pas celle qui a le moins de valeur. Pour fabriquer les bières belges, on ajoute à l’orge une quantité considérable de froment et la quantité que l’on ajoute doit être d’autant plus considérable que l’on veut préparer une bière plus forte. On emploie, dans ce cas, le froment, soit à l’état de grain non germé, soit à l’état de malt, soit à l’état de mélange de grain non germé et de malt.

Nous devons au contraire examiner avec soin les parties constituantes les plus importantes de ces deux sortes de grains, en nous attachant surtout aux différences. Le plus souvent, on considère comme le principe actif la substance que l’on nomme brièvement le gluten, le gluten de Beccaria (la substance élastique qui reste lorsqu’on malaxe, sous un filet d’eau, de la farine enveloppée dans un linge), et on ne tient aucun compte de toutes les autres substances albumineuses, ou bien on ne leur reconnaît qu’une valeur exceptionnelle. Mais on rencontre encore dans le grain d’autres substances albumineuses que celles qui existent dans le gluten, et, de plus, le gluten est un mélange dans lequel, outre une certaine quantité d’amidon et de matières cellulaires qui ne peut jamais en être séparée (à moins de dissocier les éléments du mélange et de cesser d’admettre le gluten, qui a été qualifié fibrine végétale), il existe encore des substances albumineuses de différentes natures.

À ce point de vue, la physiologie animale a été plus favorisée que la physiologie végétale : en effet on a mieux observé la différence précise des formes sous lesquelles les substances albumineuses existent dans l’organisme animal qu’on ne l’a fait pour les substances albumineuses végétales.

Dans nos analyses, nous ne devons pas nous contenter d’indiquer seulement de la fibrine végétale, du gluten, lorsqu’il est question des substances albumineuses contenues dans les grains ; mais nous devons les distinguer autant que cela est possible. Dans les matières albumineuses, le mode d’action est précisément en relation avec la forme qu’elles affectent.

Si l’on mélange la farine d’orge ou la farine de froment avec de l’eau de manière à en former une pâte, la pâte obtenue dans le dernier cas est beaucoup plus élastique ; cela est une preuve évidente qu’elle contient plus de glutine. Si l’on malaxe cette pâte sous l’eau dans un linge, il reste sur le linge, dans le cas où la pâte a été faite avec du froment, une plus grande quantité de matière élastique, et cette matière élastique contient, entre autres substances, de la glutine et de l’albumine végétale insoluble ; dans le cas de l’orge au contraire, on peut faire passer presque toute la masse au travers d’un linge du tissu même avec lequel on a obtenu dans le cas du froment un résidu si considérable.

Cette expérience si simple paraît déjà indiquer une grande différence entre les substances albumineuses de l’orge et celles du froment ; elle nous démontre évidemment qu’il existe dans le froment plus de glutine que dans l’orge ; elle nous apprend en outre qu’il existe dans le froment une quantité considérable de substance albumineuse insoluble, et qu’il se trouve au contraire dans l’orge une très petite quantité de substance albumineuse insoluble.

Cela paraît ainsi, bien que cela ne soit pas réellement. Il est bien exact que l’orge contient une quantité de glutine moins considérable que le froment, mais cette différence ne peut pas être la seule cause déterminante de la différence dans la proportion du gluten (c’est-à-dire du résidu qui reste sur le linge lorsqu’on malaxe l’orge et le froment sous l’eau).

Si l’on malaxe avec de l’eau le froment et l’orge préalablement moulus, si on laisse reposer la masse pendant quelque temps et si l’on filtre ensuite d’abord au moyen d’un linge, puis au moyen d’un filtre en papier, on obtient une liqueur qui contient toujours une certaine quantité de matière grasse et qui, par suite, est toujours opaline. Des filtrations réitérées au travers du meilleur papier à filtre n’empêchent pas la liqueur d’être ainsi opaline. La partie insoluble dans l’eau, le gluten contient une substance albumineuse importante qui est soluble dans l’alcool : c’est la glutine.

Pour obtenir la glutine, Vlaanderen a épuisé par l’alcool à 0,81 les grains préalablement moulus. En opérant ainsi, il ne se perd pas de glutine, tandis qu’il s’en perd toujours lorsqu’on commence par préparer le gluten de Beccaria en malaxant le grain sous l’eau. — On évapore l’alcool ; on mélange avec de l’eau le résidu de l’évaporation et on traite par l’éther la glutine précipitée. La quantité de glutine desséchée que l’on obtient ainsi pour 100 de grains, est :

Froment0,420
Orge 0,280

Quant à la partie insoluble dans l’eau, la liqueur opaline dont nous venons de parler plus haut, elle a été l’objet de nombreuses expériences desquelles il résulte qu’elle contient diverses substances albumineuses.

Si l’on rapproche tous ces résultats, on peut répartir ainsi les substances albumineuses contenues dans 100 parties d’orge et de froment.

OrgeFroment
Glutine, soluble dans l'alcool, insoluble dans l'eau 0,28 0,42
Substances albumineuses solubles dans l'eau et coagulables 0,28 0,26
Deux substances albumineuses solubles dans l'eau, non coagulables1,55 1,55
Substances albumineuses insolubles dans l'eau et dans l'alcool 7,59 9,27
Total 9,7 11,5

Une petite quantité des deux substances indiquées en troisième lieu est maintenue en dissolution par un acide, en sorte que, si on sature l’acide par un alcali, elle devient aussi coagulable par l’action de la chaleur.

Péligot20 a fait quelques observations sur les circonstances dans lesquelles on peut ou on ne peut pas retirer d’une sorte de grain le gluten, c’est-à-dire le résidu que laisse le grain préalablement moulu lorsqu’on le malaxe sur un linge. Il remarque d’abord que l’on obtient toujours moins de gluten qu’on ne devrait le supposer d’après la quantité d’azote que l’on trouve dans le grain : ce qui vient de ce que, pendant que l’on malaxe le grain sous l’eau, il se dissout toujours une petite quantité de gluten. Il fait en outre l’observation parfaitement juste que l’on obtient d’autant plus de gluten que la quantité de farine que l’on traite sous l’eau est plus considérable : en effet la grande quantité de la masse met obstacle à la dissolution des particules de gluten. D’autre part, le même chimiste avertit des mauvais résultats que donne, pour la préparation du gluten, l’emploi de la farine qui a été préalablement desséchée à 120°C. Il est naturel que Péligot ait retiré seulement 7,5% de glutine d’une farine ainsi desséchée, tandis que la même farine non desséchée lui avait donné 9% de gluten. Par la dessiccation à la température indiquée, la glutine, c’est-à-dire le principe constituant visqueux perd une portion de sa viscosité.

Péligot attribue en outre à la matière grasse de l’influence sur l’élasticité du gluten : il admet qu’il y a précisément dans le froment une quantité de matière grasse suffisante pour rendre le gluten élastique. Il s’appuie sur ce que la farine de froment, traitée par l’éther et malaxée ensuite avec l’eau, ne lui a donné aucune trace de gluten. Il croit que la cause en est dans la séparation de la matière grasse. Après le traitement par l’éther, la farine était desséchée d’abord à l’air, puis à une température plus élevée et maintenue à l’air pendant plusieurs jours.

D’autre part, il ne faut pas, suivant Péligot, qu’il y ait une trop grande quantité de matière grasse. Pour le démontrer, il a ajouté à une farine qui contenait 9% de gluten, 4% de matière grasse que l’on avait obtenue en traitant de la farine de froment par l’éther. Le gluten, obtenu en malaxant ensuite cette farine sous l’eau, ne présentait plus d’élasticité, mais il était plutôt cassant : en outre la quantité de gluten obtenue s’est trouvée tant soit peu plus faible, 8,9% au lieu de 9. La perte de gluten, produite par une addition de matière grasse, n’était donc pas considérable : mais la quantité trop grande de matière grasse avait, suivant Péligot, fait perdre à ce gluten son élasticité.

L’observation de Péligot doit être inexacte : en effet, d’après les expériences d’Oudemans, il y a dans l’orge 2,1% et dans le froment 1,8% de matière grasse ; et, malgré le peu de différence qui existe entre ces quantités de matière grasse, on ne retire de l’orge presque pas de gluten, tandis qu’on en retire une très grande quantité du froment.

Du reste, ce qu’il dit même de l’influence de l’éther, est inexact. Pour le vérifier, j’ai pesé trois doses de farine de froment, chacune de 10 gr. Deux de ces doses ont été maintenues en digestion à la température ordinaire pendant un quart d’heure, l’une avec de l’éther, l’autre avec de l’alcool, puis malaxées sous l’eau dans un linge. La troisième dose était soumise immédiatement à cette dernière opération. La dose qui avait été préalablement traitée par l’éther, a donné la même quantité de gluten possédant le même degré d’élasticité, tandis que la quantité de gluten retirée de la dose traitée par l’alcool, était beaucoup moindre : après une digestion d’un quart d’heure, l’alcool avait déjà dissous la glutine, tandis que l’éther qui avait parfaitement pu enlever au gluten une certaine quantité de matière grasse et qui en avait assurément réduit la quantité au quart, n’avait pas déterminé le moindre changement.

Nous devons donc admettre que ce n’est pas le traitement par l’éther, mais bien la dessiccation qui a déterminé une modification chimique dans la farine sur laquelle Péligot a opéré; il a donc attribué à la matière grasse ce qui provenait d’une autre cause.

Nous devons par suite distinguer, dans le gluten brut, deux substances : l’une glutineuse et l’autre élastique. Si l’on traite le gluten brut par l’alcool concentré bouillant, la substance glutineuse s’y dissout, tandis que la substance élastique reste comme résidu. Si l’on met dans l’eau cette dernière qui, après que l’on en a entièrement séparé la première, est dure et ne présente plus aucune élasticité, et si l’on renouvelle l’eau jusqu’à ce que l’on ait séparé toute trace d’alcool, les particules séparées ne se collent plus ensemble, mais les particules qui sont réunies en un tout sont redevenues élastiques. La séparation de l’alcool et la restitution de l’eau ont rendu à la matière son élasticité ; mais la faculté adhésive des particules séparées a disparu.

Dans le gluten brut, il existe, d’après nos expériences, 96% de substance élastique et 4% de matière glutineuse. Le nom de glutine, donné à cette dernière, est donc parfaitement juste. Pour la première, dont la quantité est de beaucoup la plus forte et qui, à l’état pur, est insoluble dans l’alcool, on peut très bien lui donner le nom d’élastine : ce nom exprimerait bien plus exactement sa nature que celui de fibrine végétale sous lequel on la désigne ordinairement.

Ainsi, il existe dans le gluten de Beccaria une substance glutineuse qui n’est pas élastique et une substance élastique qui n’est pas glutineuse : leur mélange constitue la substance improprement désignée sous le nom de gluten.

Après les observations que nous venons de donner et desquelles il résulte qu’il y a une substance glutineuse qui, bien qu’en petite quantité, détermine l’adhérence d’une grande quantité de particules qui, lorsqu’elles sont réunies en un tout, sont élastiques, je pense ne pas pouvoir me dispenser d’observer que l’on a tort de considérer la valeur d’une farine de froment comme d’autant plus grande que cette farine donne plus de gluten, c’est-à-dire de gluten brut. Cette opinion est cependant généralement admise et la quantité de gluten est considérée, de même que le degré d’élasticité de la pâte obtenue avec la farine de froment, comme l’indice de sa bonne qualité. Millon dont j’ai déjà mentionné (p. 25) les recherches sur les différences que présente la quantité de gluten contenue dans le froment, s’exprime ainsi à ce sujet21 :

Cette donnée, en matière d’expertise, est de la dernière importance.

Tant qu’il ne sera pas prouvé que ces 4% de glutine qui se trouvent dans le gluten (et qui forment moins de 4% de toutes les substances albumineuses contenues dans le froment) ont une valeur aussi grande, et il n’y a jusqu’ici aucun motif pour cela, je ne crois pas que nous devions chercher dans le gluten le critérium de la qualité du froment, ni l’indice de la pureté de la farine. Une quantité un peu moindre de glutine, ne représentant qu’une diminution de 1% sur la totalité des matières albumineuses, par suite de laquelle la glutine se trouve abaissée à 3%, rend le gluten beaucoup moins adhésif et même détermine sa disparition presque complète.

Par cette raison, il ne serait peut-être pas hors de propos de se servir du nom d’élastine pour désigner la substance élastique qui constitue, d’après nos expériences, 96% du gluten et qui a besoin seulement de se mélanger avec 4% de glutine pour se transformer en gluten.

La dénomination de gluten peut conduire à la supposition que, si l’on a trouvé une quantité moindre de gluten dans le froment, il y a beaucoup moins d’élastine, tandis que c’est seulement la quantité de glutine qui est plus faible.

En outre, le nom de gluten (en hollandais Kleefstof, en allemand Kleber, qui se traduisent littéralement en français par substance glutineuse) est impropre : en effet la matière glutineuse. du froment forme seulement 4% du gluten contenu dans ce froment. La substance glutineuse contenue dans les grains est la glutine et non l’élastine.

Je pense donc avoir démontré par les expériences indiquées ci-dessus que le mot gluten ne doit pas être employé dans une acception scientifique, en supposant même que l’on désigne sous ce nom la substance exempte d’amidon et de substances cellulaires.

Au point de vue physiologique de même qu’au point de vue technique spécial de la préparation de la bière, l’albumine végétale insoluble est assurément, sous le rapport de la quantité, la plus importante : toutes les autres ensemble ne représentent que le cinquième de l’albumine végétale insoluble et dans le cinquième de ces substances se trouve aussi de la glutine.

Si nous cherchons à appliquer les observations que nous venons de faire sur le froment aux résultats que nous a fournis l’orge, nous trouvons deux moyens d’expliquer la proportion si faible de gluten que donne l’orge : d’une part, l’albumine insoluble peut être plus dure dans l’orge, devenir moins élastique par l’action de l’eau : ce qui peut permettre d’expliquer la moindre adhérence de la masse lorsque la glutine y est incorporée. Mais, d’autre part, il est aussi possible que la différence dans la quantité de glutine contenue dans 100 parties de froment et d’orge, 0,42 et 0,28 = 3 2, soit la cause de toute la différence.

La glutine préparée au moyen du froment, présente la même composition centésimale que l’albumine des œufs de poule, avec cette différence seulement qu’elle ne contient pas comme cette dernière 1,6 de soufre, mais qu’elle en contient seulement 1%[^23]. Les substances albumineuses solubles et insolubles du froment et de l’orge ne se distinguent de la glutine que par la proportion du soufre : je ne m’occuperai donc pas ici de la composition de ces substances qui est suffisamment connue.

Ici se terminent les observations que nous voulions présenter sur la composition de l’orge et du froment. On nous permettra cependant encore, pour les résumer, de donner le tableau de la composition du froment et de l’orge, telle qu’elle résulte de ce qui précède.

Tableau comparatif de la composition du froment et de l’orge

FromentOrge
Amidon 57,0 67,9 53,8 65,7
Dextrine 4,5 5,4 4,5 5,5
Glutine, soluble dans l'alcool, insoluble dans l'eau 0,42 0,5 0,28 0,3
Substance albumineuse coagulable 0,26 0,3 0,28 0,3
Deux substances albumineuses solubles dans l'eau, non coagulables 1,55 1,9 1,55 1,9
Substances albumineuses insolubles 9,27 11,0 7,59 9,3
Matières grasses 1,8 2,1 2,1 2,5
Matières cellulaires 6,1 7,2 7,7 9,4
Substances inorganiques 1,7 2,0 2,5 3,1
Eau 16,0 ... 18,1 ...
Substances extractives et autres 1,4 1,7 1,6 2,0
100,0 100,0 100,0 100,0
  1. Ältere und neuere Erfahrungen, Ièna. 

  2. Je leur donne le nom de matières cellulaires, en comprenant sous ce nom, outre la cellulose, les matières que l’on désigne ordinairement sous le nom de fibres végétales. 

  3. La méthode se trouve décrite dans Verhandelingenen Onderzoekingen 1e deel, 2e stuk, p. 16. 

  4. Ann. de chimie et de physique, 3e série, t. XXVI, p. 33. 

  5. Ann. de chimie et de physique, t. XXVI, p. 33. 

  6. Berzelius, Jahresbericht, t. XVIII, p. 275. 

  7. Erdmann’s Journal für pr. Chemie, t. LXVI, p. 52. 

  8. De Gasparin, Cours d’Agriculture

  9. Journal de pharmacie, t. VIII, p. 353. 

  10. Économie rurale, 2e édition, Paris, 1850. 

  11. Ann. de Ch. et de Phys, 3e édition, t. VIII, p. 89. 

  12. Liebig’s Annal., t. LVIII, p. 166 et 212. 

  13. Voyez en outre Virey dans le Journ. de Pharm., t. III, p. 69 ; t. XIII, p. 342 ; t. VIII, p. 51 ; Henry. 

  14. Erdman’s, Journ. für pr. Chemie, t. LXVI, p. 320. 

  15. Annales de chimie et de physique, 3e série, t. XXXI, p. 1. 

  16. Annales de chimie et de physique, 3e série, t. XXVI, p. 4. 

  17. Annales de chimie et de physique, t. XXXIX, p. 22. 

  18. Journal de pharmacie, 3e série, t XXV, p. 352, et Comptes rendus, t. XXXVIII, p. 12, 85, et 119. 

  19. And. der Chemie und Pharm., t. L, p. 363 ; t. LIV, p. 355 ; t. LX, p. 361 

  20. Annales de chimie et de physique, 3e série, t. XXIX, p. 23. 

  21. Journal de pharmacie, 3e série, t, XXV, p. 354.